La libération de Strasbourg dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale a lieu le 23 novembre 1944 pendant la campagne d’Alsace (novembre 1944 – mars 1945). Après la libération de Mulhouse, le 21 novembre 1944 par la 1ère DB, le général Philippe Leclerc de Hautecloque et la 2e DB pénètre dans Strasbourg après avoir libéré Sarrebourg et La Petite-Pierre, qui lui ouvrent les routes vers la ville de Strasbourg.
Percée des Vosges.
En novembre 1944, le 15e corps américain, auquel appartient la 2e DB, se heurte à deux positions successives, que les Allemands organisent depuis septembre en utilisant 50 000 Alsaciens mis en travail forcé. La « Vorvogesen Stellung » (1re ligne de défense) et la « Vogesen Stellung » (ligne de défense principale) couvre le massif Vosgien et ses cols.
L’offensive débute le 13 novembre. Le 17 novembre, la 2e DB prend Badonviller (Meurthe-et-Moselle) et ouvre une brèche dans le dispositif d’arrêt allemand. Au cours de l’engagement, le lieutenant-colonel de la Horie est tué.
Le général Leclerc peut maintenant lancer sa charge sur Strasbourg. Il a reçu du chef des FFI Alsace, Marcel Kibler (commandant Marceau), l’assurance de trouver plusieurs milliers de FFI organisés à son arrivée en Alsace pour palier son manque d’infanterie3. Il donne à sa division des ordres sans ambigüité : déborder systématiquement toute résistance sans se faire fixer, pousser de l’avant sans souci d’alignement ou de liaison avec l’arrière et trouver le « trou »
Par la Petite-Pierre, la 2e DB déborde Sarrebourg et Saverne, fortement fortifiés. Guidée par les FFI, elle recherche un passage même s’il ne s’agit que d’un chemin forestier. Le groupement Massu trouve une piste au Dabo coupé par un abattis ni battu par des feux, ni miné. Il le déblaye facilement. Le général Leclerc a trouvé le « trou » qu’il recherchait. Le 23 novembre 1944, la totalité de la 2e DB a franchi la crête des Vosges par le Dabo. Elle surprend l’ennemi en débouchant sur ses arrières dans la plaine d’Alsace.
La charge de la 2e DB
Dans la nuit du 22 au 23 novembre, la 2e DB reçoit l’ordre de prendre Strasbourg à la place du 6e Corps d’armée Américain s’il n’est pas prêt Le général Leclerc donne ses ordres pour la charge de la division : « Ojectif : Strasbourg-pont de Kehl… Ne pas s’attarder, mais charger au maximum… Contourner les résistances et éventuellement ne pas hésiter à modifier légèrement les axes prescrits… Ne pas assurer la garde des prisonniers mais les désarmer…Arrêter les personnalités importantes… ».
Le 23 novembre 1944 à 7 h, la 2e DB charge sur Strasbourg en cinq colonnes guidées par les FFI alsaciens. Vers 9 h, les faubourgs et la ceinture Ouest des forts de la ville sont atteints (forts Foch, Pétain et Kléber). Ils sont bien défendus et renforcés par des fossés antichars et des tranchées que la population strasbourgeoise a dû creuser. Ils stoppent la progression des colonnes. Mais guidée par le FFI Robert Fleig, la colonne venant par le Nord le long du canal de la Marne au Rhin perce la ligne de défense et entre dans Strasbourg. Le lieutenant-colonel Rouvillois qui la commande transmet le message « Tissu est dans iode » qui informe le général Leclerc que la 2e DB est dans Strasbourg et qu’il fonce vers le pont de Kehl en suivant l’un des deux itinéraires proposés par son guide FFI Robert Fleig. Les autres colonnes modifient leur axe de progression pour se rabattre sur son itinéraire.
La surprise est totale. Les tramways, bondés de voyageurs, circulent normalement. Les Allemands vaquent à leurs affaires quand les chars passent dans les rues. Le gauleiter Wagner a juste le temps de s’enfuir de l’autre côté du Rhin. Mais 15 000 civils allemands sont fait prisonniers, la proximité de la frontière en sauve beaucoup. Le chef d’état-major du général Vaterrodt, commandant la place de Strasbourg, est capturé à cheval, surpris lors de sa promenade matinale quotidienne, par un peloton de cinq Sherman.
La Kommandantur et une partie de l’état-major du général Vaterrodt sont capturées au palais du Rhin. Le général réussit à se retrancher avec 600 hommes dans le fort Ney au nord de Strasbourg dans la forêt de la Robertsau.
Le pont de Kehl est rapidement atteint mais il est bien défendu par des ouvrages et un feu nourri. Il n’est pas franchi. L’espoir d’une tête de pont en Allemagne s’évanouit malgré de furieux combats au cours desquels le guide FFI Robert Fleig est tué. Prés du pont, le maréchal des logis chef Albert Zimmer de la Wantzenau est tué à bord du char « Cherbourg ». Il meurt à quelques kilomètres de chez ses parents qu’il a quittés en juillet 1941 en s’évadant d’Alsace.
A la mi-septembre 1944, un mois après la Libération de Paris, le général de Gaulle demande au général américain Eisenhower que les forces françaises participent à la libération de Strasbourg. C’est ainsi qu’au sein de la 7e armée américaine, la 2ème DB du général Leclerc s’élance vers l’Alsace-Lorraine pour libérer l’est de la France. Le 12 septembre, à Nod-sur-Seine, en Côte d’Or, elle fait sa jonction avec la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, qui a débarqué en Provence et remonte vers le massif des Vosges par la vallée du Rhône.
Le 15 septembre, les Américains libèrent Nancy et, le 23 novembre, le drapeau tricolore est hissé au sommet de la cathédrale de Strasbourg. Dans sa proclamation à la population, le général Leclerc s’écrie, non sans émotion : « La flèche de votre cathédrale est restée notre obsession. Nous avons juré d’y arborer de nouveau les couleurs nationales. C’est chose faite ».
A 14 h 20 le drapeau français flotte sur la cathédrale. Strasbourg est pris mais les combats ne sont pas terminés. Durant plusieurs jours, la 2e DB et les FFI du commandant François ( Georges Kieffer) nettoient les poches de résistance. Le quartier de l’Esplanade où se trouvent les casernes est un des plus difficiles à réduire avec celui du port. Les FFI guident les chars, fournissent une infanterie précieuse pour les combats de rues, gardent les prisonniers, servent de traducteurs pour le service de renseignement de la 2e DB. Grâce au résistant, Robert Kleffer, chef des FFI de La Wantzenau, une grosse partie de la garnison allemande ne peut franchir le Rhin.
Le 25 novembre 1944, le général Vaterrodt capitule avec la garnison du fort Ney (626 hommes) ce qui porte le nombre de prisonniers à environ 6 000 militaires. La ville est soumise à de violents tirs d’artillerie. Dans la nuit du 27 au 28 novembre les derniers Allemands se replient de l’autre côté du Rhin et font sauter les ponts de Kehl.
Le 27 novembre, l’ancien maire Charles Frey reprend ses fonctions. Le général de Gaulle nomme Charles Blondel commissaire de la République puis Gaston Haelling préfet.
Strasbourg est libéré mais pas sauvé. Pour consolider cette victoire, il faut attendre le mois de janvier 1945 et les terribles batailles menées à Kilstett et à Gambsheim lors de l’opération « Nordwind (vent du nord) ». La ville reste exposée aux tirs d’artillerie jusqu’en mai 1945.
Le serment de Koufra est tenu. Après la bataille de Koufra, le 2 mars 1941, le colonel Leclerc prête avec ses hommes le « serment de Koufra » : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ».
Les Français tiendront ce serment en libérant Strasbourg le 23 novembre 1944 à la tête de la 2e division blindée.
Dans cette ambiance de victoire, Leclerc anticipe de nouveau sur la prise de Saverne qui est son objectif principal et il inscrit déjà sur la carte la manœuvre vers le Rhin et le déploiement logistique qui le conditionne, déploiement qui doit s’effectuer sur des itinéraires peu nombreux du fait des destructions. La décision du 21 prépare la charge sur Strasbourg et ordonne le nettoyage du col de Saverne, artère vitale des opérations dans la plaine d’Alsace.
L’ordre que donne Leclerc pour le 23 précise :
Intention :
- prendre Strasbourg et si possible Kehl,
- continuer à surveiller la trouée de Saverne,
- se garder face au sud, empêchant toute réaction ennemie venant en particulier de Molsheim.
Consignes particulières :
- ne pas s’attarder, mais charger au maximum,
- contourner les résistances et éventuellement ne pas hésiter à modifier les axes prescrits sous réserve de ne pas encombrer les axes voisins,
- ne pas assurer la garde des prisonniers, mais les désarmer et détruire leurs armes,
- aussitôt qu’un élément aura franchi le pont de Kehl, détruire les défenses et assurer la neutralisation des destructions préparées.
Laissons maintenant le général Rouvillois raconter cette journée mémorable. « Dans l’aurore tardive du 23, débouche la charge. Strasbourg 35 kilomètres, la pluie cingle les visages des chefs de char dressés hors de leurs tourelles et aveugle les tireurs derrière leurs périscopes. Les sous-groupements Massu, Putz, Cantarel sont rapidement sur la ligne des forts où ils se heurtent à une solide défense couverte par un fossé antichar. Tandis que Putz franchit de vive force le fossé antichars, le sous-groupement Rouvillois sur l’axe nord avance sans rencontrer de résistance sérieuse. Accélérant encore le rythme, le détachement arrive en vue de la ligne des forts. Les véhicules ennemis qui se profilent sur la crête, les tirailleurs qui gagnent en courant les tranchées pleines d’eau, sont traités au canon et à la mitrailleuse. La résistance adverse est de courte durée. Sous la pluie battante, la course continue et, très vite, c’est le déboulé à travers les rues de Strasbourg. La surprise est totale. Sans tarder, la réaction ennemie s’amorce : de certaines fenêtres, de quelques coins de rue, puis des casernes transformées en points d’appui, partent des coups de feu sur les équipages peu nombreux dans la capitale alsacienne. »
« Renforcé par Massu qui a contourné la ligne des forts par le nord, tout en commençant des pourparlers pour obtenir la reddition de la kommandantur, le sous-groupement de tête fonce vers le pont de Kehl. Derrière arrive l’artillerie que Langlade a lancée sur l’axe nord dès qu’il l’a su libre. Arrivé en vue du Petit-Rhin, le sous-groupement de tête bouscule les soldats allemands chargés de garder le pont. Au total 180 prisonniers qui, s’ils n’avaient été paralysés par la surprise, auraient pu constituer un point d’amarrage pour les détachements et les isolés refluant en désordre à la recherche d’un refuge. Entre le Petit-Rhin et le Rhin, la surprise ne joue plus et la résistance devient farouche. Attaqués dans leurs tanières au canon, les héroïques défenseurs du dernier redan tombent sur leurs armes mais ne capitulent pas. Renforcés à temps, ils brisent l’ultime assaut vers la terre allemande. »
« L’ennemi cependant ne reprendra pas pied dans Strasbourg car la division s’y concentre. Avant la tombée de la nuit, le général Leclerc dont les forces tiennent tous les quartiers de Strasbourg et bordent le Rhin fait hisser les couleurs sur la flèche de la cathédrale. Le serment du 2 mars 1941 après la prise de l’oasis de Koufra est tenu ! (Jurer de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotterons sur la cathédrale de Strasbourg !) »
Ainsi, Strasbourg, capitale symbolique fut, de fait, prise à 80 kilomètres de sa cathédrale par l’entreprise secondaire d’une troupe mineure, immédiatement élargie par un chef prestigieux à la dimension politique et stratégique.
Chef de bataillon Jean-Louis Thebault
35e Régiment d’infanterie (France)
QUELQUES PHOTOS DE LA LIBERATION DE STRASBOURG